Le problème lorsque l’on voit d’excellentes expositions, c’est qu’il est compliqué d’en écrire la critique. Tout d’abord parce qu’il est nettement plus
aisé de pointer du doigt ce qui ne va pas; une lacune est en général plus
simple à expliquer qu’une satisfaction presque indéfinissable dans laquelle
s’entrechoquent inspiration, émotion, plaisir et intellect. De plus, les compliments sont parfois difficiles à formuler, comme si notre société ne
nous avait pas préparé à l’éventualité où quelque chose puisse tout simplement
mériter des éloges.
Gilbert Garcin, Lorsque le vent viendra, 2007, © Gilbert Garcin
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Mais surtout, le dilemme, c’est que l’élément ‘inconnu’
d’une belle exposition participe pleinement à sa réussite ; l’effet de
découverte, voire de surprise, qu’un visiteur peut ressentir de salle en salle
joue un rôle non négligeable dans l’appréciation des œuvres et de l’accrochage.
Comment faire, dès lors, pour partager son enthousiasme sans gâcher le plaisir
potentiel du lecteur, sans saper le facteur x ? C’est mon problème
aujourd’hui en regard des expositions Une poétique du temps au Manoir de la Ville de Martigny (22 février - 31 mars 2013) et Fenêtres
à la Fondation de
l’Hermitage à Lausanne (25 janvier - 20 mai 2013). Bien que très différentes dans leur conception, leurs
buts et leur statut, ces deux expositions se rejoignent pleinement dans leur
subtilité, leur poésie et leur intelligence. Attention, SPOILER ALERT.
Markus Raetz, Tag oder Nacht (Jour ou nuit), 1998 aquatinte et taille directe, 91,6 x 80 cm Graphische Sammlung der ETH, Zürich © 2013, ProLitteris Zurich
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L’Hermitage propose ce printemps de voyager dans l’histoire de l’art à
travers le motif de la fenêtre. Tour à tour outil de construction de
perspective, prétexte au travail de la lumière, instrument de repoussement ou
d’inclusion du spectateur, métaphore du tableau, objet esthétique en soi ou
code historique à détourner, la fenêtre étonne par ses multiples applications
et définitions. Chaque salle nourrit la précédente, offrant une nouvelle
perspective, présentant des trésors de créativité déployée à travers cinq
siècles, exhibant les différentes fonctions, adaptations, et réinterprétations
de ce motif de loin pas banal. Un cabinet bleu de gravures et de dessins, une
salle scandinave difficile à quitter, de piquants Magritte et un sous-sol qui
n’en finit plus de brillamment développer le thème : un plaisir absolu dès
les premières natures mortes jusqu’aux œuvres de Robin Rhode, en passant par
des Dürer qui vous feront tourner la tête et … bien d’autres. Mais voilà que
j’en ai déjà trop dit.
Le Manoir, quant à lui, décline le temps à travers des œuvres d’artistes
contemporains et des citations d’auteurs. Le temps s’égrène dans le marc de
café, dans le zapping quotidien et dans le balancement presque imperceptible
d’un hamac. Le temps est suspendu dans l’encadrement d’une porte ou sur des
photos et des lettres qui permettent le souvenir, le retour en arrière.
Le temps presse, nous rattrape dans une galerie de musée ou sur notre lit de
mort; pour conjurer celui-ci, le temps cyclique fait éternellement renaître
une amaryllis. Un éventail de techniques et d’approches qui traduisent à la fois
l’universalité et la subjectivité du sujet de l'exposition - un choix curatorial sensible et intuitif, qui confirme que la création d'un poste de conservateur au Manoir était le pas qu'il fallait faire pour réaliser le potentiel de l'institution.
Eric Philippoz, Rotterdam, 29.06.2012, 2012,, HDV video, colour, sound, © Eric Philippoz
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N’étant pas journaliste, je vous épargnerai l’horripilant jeu de mots final
réunissant fenêtre et temps dans la même phrase – un truc avec tic-tac et courant d’air ou quelque
chose du genre. Mais vous saisissez l'idée générale: les deux expositions sont splendides et ne manqueront pas, malgré cette chronique, de vous étonner.