Si l’actuelle exposition au Musée des
Beaux-Arts de Lausanne vous fait souci, n’ayez crainte, cette inquiétude est
partagée. Malgré de belles œuvres, l’exposition pèche et révèle plus les
problèmes qui minent le musée cantonal vaudois que de profonds liens entre Katz
et Vallotton. Où est donc le contenu scientifique qui justifie une
exposition d’une telle ampleur (10 salles) ?
Juxtaposer des œuvres parce qu’elles vont bien
ensemble ou parce qu’elles se font écho formellement, c’est chouette, mais cela
ne constitue pas un fondement pour une exposition de cette proportion – du
moins pas dans un musée. L’histoire de l’art, ça n’est pas de la décoration
d’intérieur. Dans quelle mesure cette exposition offre-t-elle un réel
enrichissement de connaissances sur Katz et sur Vallotton ?
Alex Katz, Sunset 1, 2008, oil on canvas, 274 x 213,5 cm, collection of the artist ©2013, ProLitteris, Zurich |
Un Vallotton étant jusqu’à six fois plus petit
qu’un Katz, les surprenantes similitudes mises en avant par les commissaires
d’exposition ne sont pas si évidentes que ça. Dans le catalogue, où les formats
sont naturellement accordés, la comparaison devient plus pertinente – peut-on y
voir la preuve d’un décalage entre un concept d’exposition et sa réalité?
Il y a cependant une juxtaposition qui
fonctionne à merveille et qui suggère les très bons concepts
sous-jacents (un indice peut-être sur l’origine de l’idée de cette
expo ?): deux portraits de femmes en rouge, de format similaire,
appartenant au MCBA, traduisent la volonté de présenter et de faire dialoguer
des oeuvres de la collection du musée (plutôt que d’importer à tout va) et le
désir d’aborder la peinture dans sa continuité plutôt que de faire état, une
fois de plus, des ruptures du 20ème siècle. Bien qu’excellentes sur
le papier, ces intentions ne sont malheureusement pas soutenues par une exposition solide.
L’écart entre concept et réalité se retrouve
également dans le petit guide de visite distribué à l’entrée du musée. Il
semblerait que les commissaires se soient essayés à une nouveauté: plutôt que
de proposer un parcours de salle en salle, le guide est construit en sections
thématiques dans lesquelles le visiteur est invité à piocher à sa guise pour
pouvoir « envisager différents parcours dans l’exposition ». À nouveau, l’idée
sous-jacente est bonne et doit certainement bien fonctionner dans un espace qui
n’est PAS Rumine : le musée étant une enfilade de salles, comment le
visiteur pourrait-il naviguer en parcours libre ? Nous sommes de toute
manière obligés d’avancer dans un ordre précis. Au-delà de ce détail
difficilement contournable, comment le visiteur est-il sensé faire à la lecture
d’un paragraphe référençant et comparant plusieurs œuvres disposées dans
différentes salles ? Courir d’une salle à l’autre ? Se remémorer en
salle 8 du titre d’une oeuvre accrochée en salle 3 ? Bref, l’utilisation
du guide de visite se révèle irréaliste et souligne une fois de plus le
décalage entre théorie et pratique.
Le rythme du programme du MCBA est
particulièrement soutenu et assuré par une équipe limitée ; difficile de
monter quatre expositions de valeur par année lorsque le budget et le staff
sont restreints. Privée d’un espace d’exposition permanente, l’institution est
condamnée à présenter des accrochages temporaires en continu. Il faut montrer
le plus et le plus souvent possible afin de permettre aux Vaudois et aux autres
de jouir de la collection cantonale. Cette attitude traduit les priorités
actuelles d’un grand nombre de musées, salles permanentes disponibles ou
non : il semble que l’on se soit mis d’accord pour définir l’accessibilité
comme étant la mission la plus importante des musées. D’où les pressions qui
s’ensuivent : expose ou crève. Est-ce que le but d’un musée est d’exposer
coûte que coûte ? Le danger de cette tendance est d’aboutir à une dissociation de la recherche et de l’exposition : dans cette configuration, déjà à l’œuvre dans certaines institutions, le musée est un lieu de divertissement et d’attraction touristique alors que l’histoire de l’art devient l’exclusivité de la recherche universitaire. Naturellement, un musée sans visiteurs n’est en aucun
cas souhaitable. Mais un musée sans recherche non plus – et contrairement à ce que beaucoup pensent, les deux ne s’excluent
pas.
Le MCBA, qui réclame depuis 1991 un espace
approprié pour sa collection, est sur le point de l’obtenir. Dans cet élan qui
promet à Lausanne un pôle muséal de niveau international, espérons que les
problèmes actuels – que l’on peut encore imputer au Palais de Rumine – se
résolvent d’eux-mêmes.
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