Le musée
cantonal des Beaux-Arts de Lausanne propose donc une exposition pour le moins
intrigante avec "Incongru: Quand l'art fait rire", bien décidé à
casser l’image austère que se traînent les musées depuis des dizaines d’années.
Yue Min Jun, 2000 A.D., 2000 Polyester peint, 186 x 60 x 46 cm chaque (25 pièces) Photo : Nora Rupp, © Musée Cantonal des Beaux-Arts, Lausanne |
Le texte
d'introduction est généralement un très bon révélateur de la qualité de
conception d'une exposition; court et concis, il résume l'essence de l'expo et
présente son but sans toutefois la dévoiler complètement. Après lecture et
relecture (voir re-relecture pour certains passages) du dépliant couleur
d'"Incongru", impossible d'avoir une idée claire du but de
l'exposition ou même de son squelette. Les trois paragraphes sont en fait le
début de l'introduction au catalogue, à quelques raccourcis près qui rendent
certaines informations absolument incompréhensibles (voir la fin de l’extrait).
Alors oui, le texte d'intro au catalogue d'une expo contient habituellement
l'essence et le but de l'expo; retrouver exactement les mêmes phrases n'est pas
problématique en soi. Ce qui pose problème c'est que ces phrases ou paragraphes
ont été repris tels quels sans que leur(s) auteurE(s) aient pris la peine
d’évaluer leur pertinence avec un œil extérieur. Privés de leur suite, ces
paragraphes fonctionnent très mal et portent à confusion. Les informations sont
éparpillées et forment un gros bouillon d’idées plutôt qu’une ligne directrice
claire. Le plus dommage est que l’intro au catalogue contient des passages très
éclairants qui auraient fonctionné à merveille comme texte d’introduction à
l’expo; encore aurait-il fallu accorder un peu plus de soin à l’élaboration de
ce dernier.
texte d'intro à l'expo |
Le doute
quant à la substance de l'expo ne s'envolera pas malgré ma bonne volonté. Les
premières salles sont les plus faciles à saisir bien que l'accrochage soit un
peu troublant. La salle 1 est dédiée au texte, cependant c'est dans la salle 2
que l'on retrouve les grands formats à messages de Christian Robert-Tissot. La
salle 3 se focalise notamment sur les pastiches de l'histoire de l'art mais le
pastiche de Donald Judd par Sylvie Fleury se trouve dans la salle 4. La salle 2
est consacrée aux portraits de personnes souriantes ou riantes mais c'est dans
la salle 9 que sont présentés les études de visage déformé par le rire. Si vous
désirez dégager la moelle de
l’expo, il va vous falloir faire un peu d’acrobatie et ne pas vous imaginer
qu’une progression s’opère de salle en salle. Celles-ci sont par ailleurs
beaucoup trop nombreuses. D’où vient cette conviction qu’une bonne exposition
se doit d’être interminable? L’abondance d’œuvres et d’espace ne fait que
contribuer au sentiment d’éparpillement et de dispersion des sous-thèmes. Les
quatre dernières salles furent l’apothéose de ma confusion et me certifièrent
que décidément, je n’avais toujours pas vraiment saisi le sens de l’exposition.
Sylvie Fleury, The Eternal Wow on Shelves, 2008, Acier poli, fibre de verre, peinture de carrosserie, 275 x 88 x 73 cm, © Galerie Almine Rech, Bruxelles |
Les
commissaires désirant inviter le visiteur à se concentrer sur l’œuvre avant
tout, les labels des œuvres ne sont pas présents à côté de celles-ci. Les
œuvres sont numérotées et des fiches A4 fournissant les labels sont disponibles
à chaque entrée de salle (petit défaut de conception qui a tout de même son
importance: il n'y a pas de présentoir pour déposer les fiches à la sortie des
salles, ce qui oblige le visiteur à retraverser toute la pièce pour reposer la
feuille - un peu agaçant) (ou alors il faut poser la feuille de la salle précédente dans le présentoir de la salle suivante, ce qui, pour les maniaques, pose un problème relativement insurmontable).
Cette
méthode de curation se défend et fonctionne extrêmement bien dans certains cas,
malheureusement pas dans celui-ci. Premièrement, la clé humoristique de
certaines oeuvres se trouve dans leur titre. Les trois pendules d’Alessandro
Omar révèlent leur poésie comique dans leur dénomination : Untitled
(ménage à trois). Le titre ouvre une nouvelle lecture de ces deux
pendules synchronisées et de la troisième décalée. Sans oublier la référence à
Félix Gonzalez-Torres pour ceux et celles familiers de son travail. Sans ces
renseignements, le visiteur ne passe-t-il/elle pas à côté de l’œuvre
d’Omar ? Limiter l’accès à ces informations indispensables paraît donc
contreproductif. Si le visiteur doit de toute manière se munir d’une fiche, où
est l’intérêt de supprimer les labels des murs ?
Alessandro Omar, Untitled (Ménage à trois), 2010, Horloges, ø 35 cm chaque (3 pièces), © Alessandro Omar website |
Deuxièmement,
le petit guide A5 de l'exposition que le MBC-A fournit gratuitement à ses
visiteurs pour faciliter leur visite donne des explications sur les œuvres et
les artistes sans pour autant référer à la numérotation. Cela signifie que si
je me trouve face à une œuvre dont je ne connais rien mais qui m'intéresse et
sur laquelle j'aimerais apprendre plus, je suis obligée de relever le numéro,
d'aller chercher la fiche, de retenir le nom de l'artiste, puis de lire les
informations correspondantes dans mon guide. À nouveau, je dois impérativement
me munir d’une fiche pour accéder aux informations. Seule alternative possible,
je parcours le guide et tente de comprendre par élimination de quel artiste il
s'agit. Pas super pratique, surtout dans une salle comme la Grande Galerie du
Rire, très grande et très dense. Dernier point: les labels réapparaissent sur
les murs à partir de la salle 7, ce qui renforce la confusion des dernières
salles (c’est une autre expo ou comment ça se passe ?). Si l’on prend
parti pour une méthode de labellisation, on s’y tient jusqu’au bout, sinon quel
intérêt ?
Il
semblerait donc que du point de vue de l’interprétation, de l’accrochage et de
la labellisation, les commissaires aient confondu incongruité et manque de
clarté, d’accessibilité et de consistance. Cela ne signifie pas pour autant que
l’exposition n’est pas plaisante. Certaines œuvres sont drôles et certaines
juxtapositions sont très réussies (bien que tout dépende de l’humour de
chacun). Dans la première salle, le mural et la vidéo de John Baldessari (I
Will not Make Any More Boring Art, 1971 – 2011, et I Am
Making Art, 1971) donnent le ton et tournent en dérision son propre
travail et l’art contemporain en général. La vidéo de Yoshua Okon intitulée Canned
Laughter (2009) met en scène des ouvriers hispaniques
complètement mornes travaillant dans une usine de mise en boîte de rires – ne
manquez pas les scènes où ils font la démonstration des différentes variétés de
leur production. Dans la Grande Galerie du Rire, on savoure le culot des
commissaires qui ont osé ironiser sur le musée suisse en juxtaposant deux
portraits d’une ressemblance saisissante : le premier de Mme Mary
Widmer-Curtat, mécène du MCB-A, et le second de la cinéaste nazie Leni
Riefenstahl. Quand le musée fait rire…. On peut être gardien de l’histoire ET
être marrant. So fresh. Au final, une exposition au fond peu solide mais qui se
laisse apprécier en surface. Légèreté et amusement sont les mots d’ordre ;
mais ne creusez pas trop au risque de faire la soupe à la grimace !
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