Walter Tschopp est conservateur au Musée d’Art et d’Histoire de Neuchâtel
(MAHN) depuis 1990. Navré de n’avoir pu exposer durant sa carrière certains
artistes qui lui sont chers, Tschopp, sur le point de prendre sa retraite,
décide de remédier à cette contrariété en rassemblant dans une exposition
treize artistes de divers périodes et styles.
Intitulée ‘Confrontations’, l’exposition fonctionne sur le principe d’un
dialogue entre deux artistes par salle. Ou alors entre deux pratiques d’un seul
artiste. Ou alors entre rien du tout, présentant une pratique d’un seul
artiste. (Finalement, sur huit salles, seules cinq remplissent le postulat de
départ, ce qui, il faut le dire, laisse un peu perplexe).
Photo d’installation, salle 2 : « Nature » versus « Civilisation », œuvres de Claire Pagni, © Musée d’Art et d’Histoire Neuchâtel |
Rassembler deux artistes dans un même espace et confronter leurs œuvres
respectives est un exercice extrêmement périlleux. Il faut garantir que les
deux artistes en ressortent grandiEs, que l’œuvre d’unE ne souffre pas de la
présence de l’autre. Il faut s’assurer que les comparaisons mettent en valeur
de nouvelles pistes de lecture, qu’elles mettent en lumière de nouveaux aspects
qui n’auraient pas pu être aussi bien observés sans la confrontation. Et il
faut également, dans une moindre mesure, pouvoir étayer les similitudes ou les
contrastes au-delà d’un simple rapport formel ou thématique. En somme, une
confrontation entre deux artistes requiert de solides raisons. Dans
l’exposition de Neuchâtel, force est de constater que l’on pourrait sans autre
reprendre tous les artistes, les mélanger et les redistribuer dans les salles
en modifiant leur titre sans que cela nuise profondément au but ou au sens de
l’exposition. Les questions soulevées par ‘Confrontations’ concernent en
réalité non les artistes présentés ou la pertinence de leur rassemblement mais
le statut et le rôle du conservateur.
En effet, l’unique solide justification de ces confrontations est qu’il
s’agit d’artistes que Walter Tschopp voulait exposer afin de ne pas terminer sa
carrière sur des regrets. Est-ce là une raison suffisante ? Après plus de
vingt ans au sein du MAHN, il s’en détache officiellement et se réclame d’un
‘je’ jusque dans le sous-titre de l’exposition (bien qu’un ‘nous’ mystérieux se
soit glissé dans le guide de visite…force d’habitude ?). Est-ce qu’un
conservateur, au seuil de sa retraite (ou pas, en fait), peut s’octroyer le
droit de monter une exposition pour son plaisir personnel ? Peut-il/elle
mettre le musée au service de ses envies ? C’est entre la figure du
conservateur et celle de l’institution que réside la véritable confrontation.
Sont-ils/elles une et même entité ? Où s’arrête la voix de la personne, où
commence celle de l’institution? À travers cette exposition transparaît une
réalité peu souvent assimilée : au coeur du musée se trouve des personnes
qui proposent leur vision, leur interprétation et leur subjectivité. Le
musée-vérité-absolue n’existe pas.
Photo d’installation, salle 7 : « Hommage à la peinture pure », œuvres d’Edmond de Pury, © Musée d’Art et d’Histoire Neuchâtel |
La prise de conscience de la partialité inévitable d’un conservateur va de
pair avec la réalisation de l’impact qu’il/elle peut avoir en tant qu’individu
sur l’institution. Cela amène à s’interroger sur la durée idéale d’un mandat.
Walter Tschopp a empilé vingt-et-un ans au sein du même musée. Vingt-et-un
ans ! Comment une institution peut-elle se régénérer, inspirer les jeunes
générations, proposer continuellement de nouvelles choses, être à la pointe et
ne pas s’essouffler en employant le même conservateur pendant plus de vingt
ans ? Comment ne pas sombrer dans une langueur, une monotonie, un manque
d’innovation ? Je ne mets pas en doute les capacités de Walter Tschopp à
évoluer et se renouveler, mais n’est-il pas inéluctable qu’un musée s’enlise
dans un certain confort routinier si son cœur ne renaît pas régulièrement?
Beaucoup de penser – du moins de l’autre côté de la Manche et de l’Atlantique –
qu’un mandat de huit à dix ans reste la durée maximale conseillée pour un
conservateur, afin que l’institution conserve une certaine fraîcheur. Cette
proposition ne semble de loin pas partagée en Suisse; de là à mettre le manque
d’actualité et d’attrait des musées suisses en lien avec les mandats
interminables de leurs conservateurs, il n’y a qu’un pas.
P.S. je serai assez curieuse de savoir si quelqu’un a vu la photo de
l’affiche de l’expo dans l’expo. Parce que moi pas.
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