21.11.12

Welcome to Paradise. L’Ecole de Savièse : une colonie d’artistes au cœur des Alpes vers 1900, Sion, Centre d'Expositions de l'Ancien Pénitencier, 23 juin 2012 au 6 janvier 2013

Fascinés par la beauté esthétisante des œuvres des peintres de l’Ecole de Savièse, nous les avons érigés ambassadeurs du Valais, ignorant le parti pris de leur représentation. Nostalgiques d’une époque que nous n’avons jamais connue, nous décidons de voir dans les tableaux d’Ernest Biéler, d’Edouard Vallet, d’Edmond Bille et de Marguerite Burnat-Provins (entre autres) l’image du Valais tel qu’il était au bon vieux temps. Ah les costumes des femmes, les chèvres et la peau tannée des paysans de montagne – c’était quand même mieux avant. Maintenant les jeunes filles s’habillent comme des prostituées et Weber nous empêche de gagner notre pain. Regarde voir aller, tout part à vau-l’eau, dit-on au café de la Place – et tout ça à cause du socialisme, de l’immigration, du féminisme et de l’écologie. Ah oui, c’était mieux avant, comme dans les œuvres de Biéler, ça c’était le vrai Valais – sers-nous un ballon Maurice.
 

Ernest Biéler (1863-1948), Le vieux Duc de Savièse, cloutier à Granois, 1909, dans son cadre d'origine, aquarelle, gouache et crayon sur papier, 48 x 57 cm, Château Mercier, Sierre. Propriété du Musée d'art du Valais, don de la Fondation de famille Jean-Jacques Mercier-de Molin en 1991.  © Musées cantonaux du Valais, Sion; H. Preisig

Au risque d’en faire déchanter plus d’un, le Musée d’art du Valais a décidé de lancer un pavé dans la mare et de revisiter l’envers du décor. Welcome to Paradise ; L’Ecole de Savièse, une colonie d’artistes au cœur des Alpes vers 1900 propose une approche révisionniste à travers une analyse particulièrement intéressante de la fabrication et de la longévité de l’iconographie valaisanne conçue par les peintres de l’Ecole de Savièse. Aujourd’hui encore, l’identité visuelle du canton est grandement fondée sur leur travail qui, lorsque replacé dans son contexte, s’avère loin d’être objectif. Une manière non pas de dévaluer leur œuvre mais au contraire d’en affiner la compréhension en se débarrassant d’un regard considéré comme acquis. Une remise en question stimulante dans un canton que l’on a tendance à envisager comme peu enclin à proposer des regards neufs – ou serait-ce là également une idée reçue ? Ces déstabilisantes questions de ‘cliché versus réalité’ vous poursuivront bien au-delà des couloirs de l’Ancien Pénitencier.

Bref, une exposition dans laquelle on peut mordre à pleines dents et sentir de la matière. Enfin, à moins que l’on se ‘contente’ de flâner de cellule en cellule. En effet, alors que la nouvelle approche est au cœur de l’exposition, il est paradoxalement facile de passer à côté – il suffit de lire le livre d’or pour s’en rendre compte. Il est dommage de voir que Welcome to Paradise puisse être aussi aisément assimilée à n’importe quelle autre exposition des peintres de l’Ecole de Savièse, et par-là même, ironie du sort, marquer un superbe auto goal en renforçant ce qu’elle essaie de déconstruire. A travers cet exemple se posent plusieurs questions fondamentales : comment sensibiliser le visiteur à la recherche de fond qui sous-tend une exposition? Est-ce que c'est grave si elle ou il ne saisit pas le pourquoi de l'expo? 

 
Marguerite Burnat-Provins (1872-1952), Jeune fille de Savièse, 1900, crayon, fusain, pastel, aquarelle et gouache sur papier de couleur, 37 x 54.5 cm, Musée d'art du Valais, Sion. © Musées cantonaux du Valais, Sion; M.Martinez 

Pour partager son nouveau regard, le Musée d’art du Valais a choisi de s’appuyer sur des textes de présentation par étage, avec une introduction sur panneau mural et un feuillet explicatif à emporter – ces informations accessibles permettent, en effet, de comprendre l’argument de l’exposition. Malheureusement, partir du principe que les visiteurs les lisent est très optimiste – voire utopique, surtout au vu de leur longueur.

L’autre moyen utilisé pour souligner la démarche de l’exposition est l’accrochage de deux œuvres contemporaines, une sculpture de Valentin Carron et un projet photographique de Yann Gross. Leur intégration offre un judicieux décalage qui au mieux pique la curiosité des visiteurs, au pire n'est carrément pas vu (dans le cas de Valentin Carron), mais qui n'est généralement pas compris, tout simplement.
 

Yann Gross (*1981), Lady Harley, Martigny, photographie extraite du projet Horizonville, 2005-2008, propriété de l'artiste. © Yann Gross

Vu le propos anticonformiste de l’exposition, on aurait pu imaginer un accrochage plus innovant, par exemple en dispersant les photographies de Yann Gross dans les cellules parmi les oeuvres de l'Ecole de Savièse plutôt qu’en les réunissant bien sagement entre elles au troisième étage. Aux tableaux de femmes idéalisées en mère et fée du logis auraient pu être juxtaposées les revendications de la Fédération Suisse des Ouvrières qui réclame le droit de vote dès 1893. Les conditions de vie pénibles des paysans au début du 20e siècle auraient pu être présentées à l’aide d’images d’archives et répondre à l’idéalisation de la vie rurale par l’Ecole de Savièse. Aux beaux paysages de moyenne montagne auraient pu faire contraste des photographies du développement industriel de la plaine.
En clair, une démonstration visuelle du propos de l’exposition aurait mérité d’être développée afin que toutes et tous puissent être frappés par la fraîcheur et la pertinence du travail fourni par le Musée d'art. Welcome to Paradise en aurait certes été plus exigeant, forçant les visiteurs à sortir de leur zone de confort et les empêchant de faire la visite plan-plan c'était-tellement-beau-avant, provoquant probablement des mécontents. Mais quitte à déconstruire un mythe, autant y aller franchement, non?