13.3.13

Une poétique du temps VS. Fenêtres


Le problème lorsque l’on voit d’excellentes expositions, c’est qu’il est compliqué d’en écrire la critique. Tout d’abord parce qu’il est nettement plus aisé de pointer du doigt ce qui ne va pas; une lacune est en général plus simple à expliquer qu’une satisfaction presque indéfinissable dans laquelle s’entrechoquent inspiration, émotion, plaisir et intellect. De plus, les compliments sont parfois difficiles à formuler, comme si notre société ne nous avait pas préparé à l’éventualité où quelque chose puisse tout simplement mériter des éloges. 

Gilbert Garcin, Lorsque le vent viendra, 2007, © Gilbert Garcin

Mais surtout, le dilemme, c’est que l’élément ‘inconnu’ d’une belle exposition participe pleinement à sa réussite ; l’effet de découverte, voire de surprise, qu’un visiteur peut ressentir de salle en salle joue un rôle non négligeable dans l’appréciation des œuvres et de l’accrochage. Comment faire, dès lors, pour partager son enthousiasme sans gâcher le plaisir potentiel du lecteur, sans saper le facteur x ? C’est mon problème aujourd’hui en regard des expositions Une poétique du temps au Manoir de la Ville de Martigny (22 février - 31 mars 2013) et Fenêtres à la Fondation de l’Hermitage à Lausanne (25 janvier - 20 mai 2013). Bien que très différentes dans leur conception, leurs buts et leur statut, ces deux expositions se rejoignent pleinement dans leur subtilité, leur poésie et leur intelligence. Attention, SPOILER ALERT.


Markus Raetz, Tag oder Nacht (Jour ou nuit), 1998 aquatinte et taille directe, 91,6 x 80 cm Graphische Sammlung der ETH, Zürich © 2013, ProLitteris Zurich
L’Hermitage propose ce printemps de voyager dans l’histoire de l’art à travers le motif de la fenêtre. Tour à tour outil de construction de perspective, prétexte au travail de la lumière, instrument de repoussement ou d’inclusion du spectateur, métaphore du tableau, objet esthétique en soi ou code historique à détourner, la fenêtre étonne par ses multiples applications et définitions. Chaque salle nourrit la précédente, offrant une nouvelle perspective, présentant des trésors de créativité déployée à travers cinq siècles, exhibant les différentes fonctions, adaptations, et réinterprétations de ce motif de loin pas banal. Un cabinet bleu de gravures et de dessins, une salle scandinave difficile à quitter, de piquants Magritte et un sous-sol qui n’en finit plus de brillamment développer le thème : un plaisir absolu dès les premières natures mortes jusqu’aux œuvres de Robin Rhode, en passant par des Dürer qui vous feront tourner la tête et … bien d’autres. Mais voilà que j’en ai déjà trop dit.

Paul Klee, Fensterausblick (Nordseeinsel) (Vue d’une fenêtre [Ile de la mer du Nord]), 1923 aquarelle et gouache sur papier monté sur carton, 33 x 22,5 cm, Collection privée, Suisse, Photo Peter Lauri, Berne

Le Manoir, quant à lui, décline le temps à travers des œuvres d’artistes contemporains et des citations d’auteurs. Le temps s’égrène dans le marc de café, dans le zapping quotidien et dans le balancement presque imperceptible d’un hamac. Le temps est suspendu dans l’encadrement d’une porte ou sur des photos et des lettres qui permettent le souvenir, le retour en arrière. Le temps presse, nous rattrape dans une galerie de musée ou sur notre lit de mort; pour conjurer celui-ci, le temps cyclique fait éternellement renaître une amaryllis. Un éventail de techniques et d’approches qui traduisent à la fois l’universalité et la subjectivité du sujet de l'exposition - un choix curatorial sensible et intuitif, qui confirme que la création d'un poste de conservateur au Manoir était le pas qu'il fallait faire pour  réaliser le potentiel de l'institution. 

Eric Philippoz, Rotterdam, 29.06.2012, 2012,, HDV video, colour, sound, © Eric Philippoz
N’étant pas journaliste, je vous épargnerai l’horripilant jeu de mots final réunissant fenêtre et temps dans la même phrase – un truc avec tic-tac et courant d’air ou quelque chose du genre. Mais vous saisissez l'idée générale: les deux expositions sont splendides et ne manqueront pas, malgré cette chronique, de vous étonner.