21.11.12

Welcome to Paradise. L’Ecole de Savièse : une colonie d’artistes au cœur des Alpes vers 1900, Sion, Centre d'Expositions de l'Ancien Pénitencier, 23 juin 2012 au 6 janvier 2013

Fascinés par la beauté esthétisante des œuvres des peintres de l’Ecole de Savièse, nous les avons érigés ambassadeurs du Valais, ignorant le parti pris de leur représentation. Nostalgiques d’une époque que nous n’avons jamais connue, nous décidons de voir dans les tableaux d’Ernest Biéler, d’Edouard Vallet, d’Edmond Bille et de Marguerite Burnat-Provins (entre autres) l’image du Valais tel qu’il était au bon vieux temps. Ah les costumes des femmes, les chèvres et la peau tannée des paysans de montagne – c’était quand même mieux avant. Maintenant les jeunes filles s’habillent comme des prostituées et Weber nous empêche de gagner notre pain. Regarde voir aller, tout part à vau-l’eau, dit-on au café de la Place – et tout ça à cause du socialisme, de l’immigration, du féminisme et de l’écologie. Ah oui, c’était mieux avant, comme dans les œuvres de Biéler, ça c’était le vrai Valais – sers-nous un ballon Maurice.
 

Ernest Biéler (1863-1948), Le vieux Duc de Savièse, cloutier à Granois, 1909, dans son cadre d'origine, aquarelle, gouache et crayon sur papier, 48 x 57 cm, Château Mercier, Sierre. Propriété du Musée d'art du Valais, don de la Fondation de famille Jean-Jacques Mercier-de Molin en 1991.  © Musées cantonaux du Valais, Sion; H. Preisig

Au risque d’en faire déchanter plus d’un, le Musée d’art du Valais a décidé de lancer un pavé dans la mare et de revisiter l’envers du décor. Welcome to Paradise ; L’Ecole de Savièse, une colonie d’artistes au cœur des Alpes vers 1900 propose une approche révisionniste à travers une analyse particulièrement intéressante de la fabrication et de la longévité de l’iconographie valaisanne conçue par les peintres de l’Ecole de Savièse. Aujourd’hui encore, l’identité visuelle du canton est grandement fondée sur leur travail qui, lorsque replacé dans son contexte, s’avère loin d’être objectif. Une manière non pas de dévaluer leur œuvre mais au contraire d’en affiner la compréhension en se débarrassant d’un regard considéré comme acquis. Une remise en question stimulante dans un canton que l’on a tendance à envisager comme peu enclin à proposer des regards neufs – ou serait-ce là également une idée reçue ? Ces déstabilisantes questions de ‘cliché versus réalité’ vous poursuivront bien au-delà des couloirs de l’Ancien Pénitencier.

Bref, une exposition dans laquelle on peut mordre à pleines dents et sentir de la matière. Enfin, à moins que l’on se ‘contente’ de flâner de cellule en cellule. En effet, alors que la nouvelle approche est au cœur de l’exposition, il est paradoxalement facile de passer à côté – il suffit de lire le livre d’or pour s’en rendre compte. Il est dommage de voir que Welcome to Paradise puisse être aussi aisément assimilée à n’importe quelle autre exposition des peintres de l’Ecole de Savièse, et par-là même, ironie du sort, marquer un superbe auto goal en renforçant ce qu’elle essaie de déconstruire. A travers cet exemple se posent plusieurs questions fondamentales : comment sensibiliser le visiteur à la recherche de fond qui sous-tend une exposition? Est-ce que c'est grave si elle ou il ne saisit pas le pourquoi de l'expo? 

 
Marguerite Burnat-Provins (1872-1952), Jeune fille de Savièse, 1900, crayon, fusain, pastel, aquarelle et gouache sur papier de couleur, 37 x 54.5 cm, Musée d'art du Valais, Sion. © Musées cantonaux du Valais, Sion; M.Martinez 

Pour partager son nouveau regard, le Musée d’art du Valais a choisi de s’appuyer sur des textes de présentation par étage, avec une introduction sur panneau mural et un feuillet explicatif à emporter – ces informations accessibles permettent, en effet, de comprendre l’argument de l’exposition. Malheureusement, partir du principe que les visiteurs les lisent est très optimiste – voire utopique, surtout au vu de leur longueur.

L’autre moyen utilisé pour souligner la démarche de l’exposition est l’accrochage de deux œuvres contemporaines, une sculpture de Valentin Carron et un projet photographique de Yann Gross. Leur intégration offre un judicieux décalage qui au mieux pique la curiosité des visiteurs, au pire n'est carrément pas vu (dans le cas de Valentin Carron), mais qui n'est généralement pas compris, tout simplement.
 

Yann Gross (*1981), Lady Harley, Martigny, photographie extraite du projet Horizonville, 2005-2008, propriété de l'artiste. © Yann Gross

Vu le propos anticonformiste de l’exposition, on aurait pu imaginer un accrochage plus innovant, par exemple en dispersant les photographies de Yann Gross dans les cellules parmi les oeuvres de l'Ecole de Savièse plutôt qu’en les réunissant bien sagement entre elles au troisième étage. Aux tableaux de femmes idéalisées en mère et fée du logis auraient pu être juxtaposées les revendications de la Fédération Suisse des Ouvrières qui réclame le droit de vote dès 1893. Les conditions de vie pénibles des paysans au début du 20e siècle auraient pu être présentées à l’aide d’images d’archives et répondre à l’idéalisation de la vie rurale par l’Ecole de Savièse. Aux beaux paysages de moyenne montagne auraient pu faire contraste des photographies du développement industriel de la plaine.
En clair, une démonstration visuelle du propos de l’exposition aurait mérité d’être développée afin que toutes et tous puissent être frappés par la fraîcheur et la pertinence du travail fourni par le Musée d'art. Welcome to Paradise en aurait certes été plus exigeant, forçant les visiteurs à sortir de leur zone de confort et les empêchant de faire la visite plan-plan c'était-tellement-beau-avant, provoquant probablement des mécontents. Mais quitte à déconstruire un mythe, autant y aller franchement, non? 

31.10.12

Happy Halloween!


Le soldat mort, 17e siècle Italie, huile sur toile, 104.8 x 167 cm, National Gallery, Londres
Un cadavre, un ciel menaçant, des ossements, une lampe encore fumante, une lumière surnaturelle. Bonne fête des morts !
 

28.9.12

Le cocktail de la honte

Léonard de Vinci, Mona Lisa, c.1503-1506 à gauche et sa copie connue sous le nom d'Isleworth Mona Lisa source: AFP

Ingrédients:
1 dose d’hypothèse non confirmée mais relativement répandue selon laquelle il existerait deux versions de la Mona Lisa de Léonard de Vinci
1 copie de la Joconde oubliée depuis quelques années car bien au chaud dans les coffres d’une banque suisse
1 dose d’ « experts » de bas étage
1 dl de nouvelles techniques d’analyse inventées de toutes pièces sans aucun fondement scientifique et ne répondant à aucun critère d’étude établi
1 cuillère d’une très bonne agence PR
2 dl de gros moyens financiers
1 goutte d’essence de Dan Brown

Bien secouer dans son coin, filtrer toute rigueur scientifique et honnêteté intellectuelle, et voilà ! A déguster sans aucun esprit critique. 

27.8.12

Christian Marclay. The Clock, Kunsthaus Zürich, 24 août - 2 septembre 2012

A voir absolument! Projeté en continu dans la nuit du vendredi 31 août, sinon visible aux heures d'ouverture normales du musée. 


Christian Marclay, The Clock, 2010, projection vidéo, 24 heures, © Christian Marclay, Courtesy White Cube

26.8.12

Van Gogh, Picasso, Kandinsky…. Collection Merzbacher. Le mythe de la couleur, Martigny, Fondation Gianadda, 29 juin – 25 novembre 2012


On a rarement vu plus racoleur que l’affiche de l’exposition d’été de la Fondation Gianadda. Ou comment jeter à la figure des badauds un name dropping pas du tout nécessaire – Le mythe de la couleur, la collection Merzbacher aurait été un titre suffisant et n’aurait pas paru aussi désespéré. Sans compter que seul un Picasso et sauf erreur un seul Van Gogh sont présentés... presqu'une publicité mensongère....

Affiche de l'exposition

Mais l’on doit reconnaître la corrélation réussie entre l’affiche et l’expo : les deux donnent la nausée. La première par sa stratégie marketing des plus désolantes et la seconde par son manque total d’innovation. Les fauves et les expressionnistes, et toute l’équipe d'entre-deux. Ah voilà. Ch(è)res directeurs-trices/conservateurs-trices qui vous obstinez à exposer en boucle les mêmes artistes, il est grand temps de reposer les livres de compte et d’aller vous fournir en manuels d’histoire de l’art. Non, la première partie du 20e siècle ne se résume pas à Matisse/Picasso et Cie. Et oui, le 19e siècle comporte d’autres artistes que Manet/Monet et Gauguin/Van Gogh. Croix de bois, croix de fer. Votre carnet des charges n’est pas celui d’une multinationale: faire des entrées c’est bien; stimuler les visiteurs, c’est mieux. A part mamie qui peut enfin s’acheter le linge de cuisine Tournesols pour compléter sa collection, tout le monde s’ennnnuuuuuuuuuiiiie dans vos expos impressiono-fauvo-cubo-expressiono-[insérez le mouvement]-vulgaires. Du coup, les œuvres, aussi belles et intéressantes soient-elles, deviennent transparentes – impossible de les apprécier, tellement on en est gavé. Un gavage visuel qui prouve tristement que le business de la culture a pris la place de la réflexion dans l’agenda de nombreux musées. Et j’exagère à peine.

Cependant, toute cette frustration est contrebalancée par Hommage à l'absente, exposition de photographies de Léonard Gianadda dédiées à son épouse Annette, décédée en décembre 2011. Le couloir menant au sous-sol du musée offre un calme reposant après les surenchères de claques multicolores du rez-de-chaussée. 


Léonard Gianadda, Annette Pavid, Pully, 1957

À travers une poignée de photographies sont re-contés des instants de vie, témoignages d’une existence vécue à deux, du partage d’une âme et d’une complicité exclusive. L’on est soudain face à l’amour et à la mort, dans leur grandiose et leur douleur, dans leur banalité et leur essentiel. Ce sablier visuel égrène l’intimité d’une histoire d’amour ressemblant à tant d’autres : une jeune femme, belle et amoureuse, photographiée par son homme, tout aussi beau, tout aussi amoureux. On savoure le bouleversement que provoquent ces images, toutes de noir et de blanc, un souffle sans couleur justement, qui diffuse l’absence et laisse silencieux.


Léonard Gianadda, Annette Pavid et Léonard Gianadda, Lausanne, 1957

1.8.12

Bon anniversaire! Herzlichen Glückwunsch zum Geburtstag! Buon compleanno ! Tut il bun per l'anniversari !

Alexandre Calame, Lake Lucerne, Urirotstock, 1857-61, Huile sur toile, 32.7 x 31.3 cm, Collection of Asbjorn R. Lunde


Au début des années 1850, Alexandre Calame quitte les paysages dramatiques des Alpes bernoises et poursuit ses voyages vers le nord, pour atteindre une région plus tranquille: le lac de Lucerne et les Préalpes. La région revêt une importance historique; selon les mythes fondateurs suisses, c'est sur la prairie du Grütli, au bord du lac, que se réunirent les Confédérés pour y prêter serment. Tous les premiers août, le serment est réitéré afin de commémorer la formation de la Confédération suisse. 
-----------------------------------------------
At the beginning of the 1850s, Calame left the dramatic scenery of the Berner Alps. He pursued his travels up north and reached a more tranquil region: Lake Lucerne and the Prealps. The area has historical significance; according to Swiss founding myths, the Confederates met on the Rütli meadow, close to the lake's shore, in order to take their oath. Every first of August, the oath is repeated to commemorate the forming of the Swiss Confederation. 

30.7.12

Asger Jorn, un artiste libre, Lausanne, Fondation de l’Hermitage, 22 juin – 21 octobre 2012


Dans les oeuvres d’Asger Jorn « apparaissent parmi la lumière les ombres les plus méchantes, mais tout à coup se renverse le débat : la nuit prend la tendresse de l’oreiller tandis que le soleil, maître du fond, visible à peine, est démoniaque », Christian Dotremont, 1956

Asger Jorn, La lune et les animaux, 1950 huile sur aggloméré, 47 x 60,7 cm Collection Pierre et Micky Alechinsky photo André Morain, Paris
© Donation Jorn, Silkeborg / 2012, ProLitteris, Zurich

Que les personnes familières avec l’œuvre d’Asger Jorn lèvent la main ! Artiste majeur de l’art danois du 20e siècle, Jorn ne bénéficie cependant pas d’une très grande popularité – peu exposé, il reste relativement inconnu dans nos contrées. Et l’inconnu, ça fait peur, comme en témoigne le calme de la Fondation de l’Hermitage.

À son actif, la fondation de plusieurs mouvements artistiques et/ou intellectuels : le mouvement Cobra en 1948, le Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste en 1953, l’Internationale situationniste aux côtés de Guy Debord en 1957 et l’Institut scandinave de vandalisme comparé dans les années 60. Artiste pluridisciplinaire, Jorn touche autant à la peinture qu’à la gravure, à la céramique, au dessin et à l’aquarelle.

L’exposition de l’Hermitage – la première consacrée à Jorn en Suisse romande – présente son œuvre selon un ordre chronologique. Les quatre étages de la maison sont élégamment présentés dans un dépliant A5, comprenant un plan et quelques lignes d’explication par salles. Cette nouvelle version du guide de visite – mise au point cette année – permet de naviguer plus facilement ainsi que de saisir clairement la structure de l’exposition.

Asger Jorn, Grand baiser au cardinal d’Amérique, 1962, modification, huile sur toile, 92 x 73 cm, Musée Jenisch Vevey photo, StudioCurchod,Vevey
© Donation Jorn, Silkeborg / 2012, ProLitteris, Zurich

Chaque salle est précédée d’un panneau explicatif, qui, malheureusement, reste relativement radin en information. Le mouvement Cobra est très brièvement brossé et l’on ne s’est pas mouillé à tenter d’expliquer l’Internationale situationniste ou le Mouvement international pour un Bauhaus imaginiste. Certes, ces concepts sont intellectuellement complexes et difficilement résumables en deux mots, mais où est l’intérêt de présenter cet artiste si c’est pour lui gommer tout relief ?
Le Jorn rebelle et subversif, critique de l’ordre établi et du capitalisme, celui qui répondit en 1964 lorsqu’on lui attribua le prestigieux Prix Guggenheim :

GO TO HELL BASTARD - STOP - REFUSE PRIZE - STOP - NEVER ASKED FOR IT - STOP - AGAINST ALL DECENCY MIX ARTIST AGAINST HIS WILL IN YOUR PUBLICITY - STOP - I WANT PUBLIC CONFIRMATION NOT TO HAVE PARTICIPATED IN YOUR RIDICULOUS GAME

(Allez au diable connard – stop – refuse le prix – stop – jamais demandé à l’avoir – stop – contre toute décence mixez artiste contre sa volonté dans votre publicité – stop – je veux la confirmation publique de ne pas avoir participé à votre jeu ridicule),

celui qui invita et développa des approches culturelles révolutionnaires, alternatives et expérimentales, s’efface au profit d’un Jorn lisse et conventionnel.

Asger Jorn, Nøgen husflid Artisanat nu, 1964 collage sur carton marouflé sur panneau de bois, 130 x 97 cm photo Sandra Pointet © Fondation Gandur pour l’Art, Genève © Donation Jorn, Silkeborg / 2012, ProLitteris, Zurich

L’exposition choisit un angle d’approche formel et met l’accent sur la biographie de l’artiste. Son langage visuel est fascinant – et d’ailleurs beaucoup moins agressif que le laisse supposer l’affiche de l’expo – mais pour bien comprendre les enjeux de son œuvre, le contexte vient à manquer. La tradition picturale nordique, par exemple, maintes fois mentionnée dans les panneaux car au cœur du travail de Jorn, n’est jamais effectivement caractérisée. En bref, on reste un peu sur sa faim – ce qui, en soi, n’est pas forcément un mauvais point. Piquer la curiosité du visiteur afin qu’il/elle décide d’obtenir plus d’informations de manière proactive – par la lecture du catalogue ou autre – est une grande réussite, mais qui reste difficile à évaluer et calculer.

Bien qu’un peu frustrée, je quittais le musée emballée et réjouie. Au fur et à mesure des salles, le monde de Jorn nous est révélé, référençant des artistes plus familiers tels que Klee, Picasso ou Munch, sans pour autant jamais abandonner un langage bien personnel. Des vibrations particulières émanent de son œuvre, à la fois la synthèse des avant-gardes européennes de la première partie du 20e siècle et l’élaboration d’un style individuel puissant ; l’apogée de la visite s’atteint au sous-sol de l’Hermitage avec Kyotosmorama, à la place d’honneur.

Alors oui, l’inconnu, ça n’est pas très confortable au début. Mais pour une fois que les murs de cette baraque présentent autre chose que Bonnard et Vallotton, il serait dommage de se laisser impressionner. 


Asger Jorn, Kyotosmorama, 1969-1970 huile sur toile, 114 x 162 cm Centre Pompidou, Musée national d’art moderne - Centre de création industrielle ; achat en 1971 © Collection Centre Pompidou, Dist. RMN / DR / Donation Jorn, Silkeborg / 2012, ProLitteris, Zurich




19.2.12

Interlude

Après quelques semaines d’existence et (presque) autant de posts, un petit check-up s’impose et des réajustements sont de mise !
Je démarrais ce blog à la fin de l'année dernière lors d'une période de calme professionnel. Désormais active (bien que non-rémunérée, ne nous emballons pas, je reste une jeune diplômée du secteur culturel), le rythme relativement soutenu des chroniques va inévitablement ralentir. Pour parer au manque, les posts se feront plus variés ; actualités concernant les musées et l’histoire de l’art, œuvres ou artistes qui me touchent particulièrement, et plein d’autres trucs super sympas que je ne vous spoilerai pas maintenant. Bref, des sujets qui me demanderont moins de temps mais qui vous permettront toujours de procrastiner (ben oui, je pense à vous quoi). 
Autre nouvelle mesure, les futurs posts seront également disponibles en anglais: n'hésitez donc plus à rameuter vos BFF non-francophones. 

Chronique d’une restitution à l’amiable

En 1964, le Kunstmuseum de Bâle acquiert légalement et honorablement plusieurs œuvres de l’artiste russe Kasimir Malevitch (1879 – 1935) lors d’une vente aux enchères à Londres. En 2010, les héritiers du peintre, estimant que les œuvres en question (deux gouaches et une soixantaine de dessins) leur appartiennent, déposent une plainte contre le musée suisse afin de les récupérer.

Leur raisonnement est le suivant : en 1927, alors que Malevitch est à Berlin, il est soudainement sommé de rentrer à Leningrad. Il s’y rend sur-le-champ, laissant derrière lui une quantité d’œuvres qu’il prévoyait d’exposer en Europe – parmi elles se trouvent les gouaches et les dessins du Kunstmuseum de Bâle. Le peintre ne quittera plus jamais l’Union Soviétique et toutes ces œuvres, abandonnées chez des amis à Berlin, se retrouvent sur le marché, alors qu’il n’en a, a priori, jamais fait la demande. La famille Malevitch juge donc qu’elles ont été vendues sans l’accord de l’artiste, autrement dit illégalement, et que, par conséquent, elle possède le droit légitime de les récupérer.

Le 20 janvier dernier, le Kunstmuseum de Bâle et les héritiers de Malevitch parviennent à un accord à l’amiable. Les œuvres sont restituées à la famille du peintre, mais seulement une, Paysage avec Maisons Rouges, sera transférée en Russie. Les autres restent à Bâle, en prêt à durée indéterminée.

Kasimir Malevitch, Paysage avec Maisons Rouges, 1910, gouache, © Kunstmuseum Basel

Je précise que d’autres accords à l’amiable ont précédemment été conclu par la famille Malevitch avec le MoMA de New York ou encore le Stedelijk d’Amsterdam. Ce genre d’affaires soulève un nombre infini de questions, principalement autour de la notion responsabilité. La responsabilité du musée, des collectionneurs, des marchands d’art, des amis de Malevitch, de leurs héritiers, mais aussi la responsabilité du peintre et de sa famille. Alors ? Qu’en pensez-vous ? Qui devrait prendre la responsabilité de ventes illégales réalisées il y a presqu’un siècle ? La requête des héritiers de Malevitch vous semble-t-elle évidente ? La position du musée est-elle sans reproche ? Et l’accord est-il satisfaisant ?


                                                                    

Interlude

After a few weeks of blogging and (almost) as many posts, time to review and adjust a couple of things!
First of all, Museum Chronicles is now also available in English. As I’m not really computer-friendly I still haven’t found a proper way to do this, so for the time being please scroll down on each post to access the English version.
As I am now professionally active (although still not paid, who am I kidding, just graduated in the cultural sector), exhibitions’ posts might will become less frequent. In order to still provide you with some procrastination material, I will however extend my editorial line to news and updates on museums, art history, works of art, artists, and many other things that will require less time to prepare but will still allow you to waste some. Such as the following:

Settlement Chronicle

In 1964, Kunstmuseum Basel legally and honorably acquires a couple of works by Russian artist Kasimir Malevitch (1879 – 1935) at an auction sale in London. In 2010, the painter’s heirs, considering that these works (two gouaches and about sixty drawings) belong to them, register a claim to the Swiss museum in order to get them back. 

Their reasoning is the following: in 1927, while Malevitch is in Berlin, he is suddenly called back to Leningrad. The painter immediately departs from Germany, leaving behind a great amount of works that he was planning to exhibit in Europe – among them, paintings and drawings now in Kunstmuseum Basel. Malevitch was never to leave Soviet Union again and all those works, abandoned to his Berlin friends, started to appear on the market although he does not seem to have asked for it. The painter’s family thus concludes they have been sold without his authorization, in other words illegally; they therefore consider they have the legitimate right to get them back.

On the 20th of January, Kunstmuseum Basel and Malevitch’s heirs came to an agreement. The works are returned to the painter’s family, however only one painting, Landscape with Red Houses, will be brought back to Russia. The other works remain in Basel, in the form of a loan for an indefinite period.


Kasimir Malevitch, Landscape with Red Houses, 1910, gouache, © Kunstmuseum Basel

FYI, previous settlements similar to this one have been reached by the Malevitch family and museums such as MoMA NY and Stedelijk, Amsterdam.
Such cases bring up an infinite number of questions, mainly revolving around the notion of responsibility. Responsibility of the museum, of collectors, of art dealers, of friends of Malevitch and their families, but also responsibility of the painter and his heirs. So what do you think? Who can be held responsible for illegal sales made almost a century ago? Does Malevitch family’s request seem obvious to you? Is the museum’s position without reproach? And is the settlement satisfying? 


source: the Art Newspaper

1.2.12

Passion et Image: Art Russe depuis 1970 : la Collection Arina Kowner, Berne, Kunstmuseum, 3 décembre 2011 – 12 février 2012


Je n’étais pas particulièrement emballée à l’idée de m’aventurer dans cette exposition. Les seules connaissances que je possède en art russe se limitent au constructivisme et au suprématisme, et pour être honnête, elles sont plutôt floues. Qui plus est, confrontée, lors d’expositions diverses, à des œuvres d’artistes russes contemporainEs, je dois avouer qu’il m’a toujours été difficile de saisir réellement les enjeux de leur art. Mon ignorance en histoire et culture russes y est sans aucun doute pour quelque chose. Régulièrement frustrée de ne pouvoir convenablement apprécier l’art russe (ainsi que l’art des anciens pays soviétiques), je développais une certaine réticence à son égard. Par conséquent, j’étais moyennement motivée à me rendre à Berne pour voir ‘Passion et Image: Art Russe depuis 1970 : la Collection Arina Kowner’. Il faut dire que le titre à rallonge n’est pas non plus pour aider (les gars faut vous mettre d’accord, c’est au maximum un titre et un sous-titre).

Cependant, étant donné que je me trouvais au Kunstmuseum et que le beau gosse de l’accueil m’avait filé un petit guide de visite, je me suis laissée tenter. Pour une fois, me dis-je, que nous avons droit à quelque chose d’un peu différent d’Andy Warhol & co – oui il y a eu d’autres choses dans la deuxième partie du XXème siècle, wow, no way, dingue –  ça valait bien le coup d’y jeter un œil.


Vladislav Mamyshev ‚Monroe’ (*1969), Matou (Allusion à Stalin), 1991, Technique mixte, 62 x 48 cm, © Collection Arina Kowner


Arina Kowner, originaire de Russie, a grandi à Zürich. Après avoir été, entre autres, directrice du Pour-Cent Culturel Migros et membre du conseil de la fondation Pro Helvetia, elle monte en 2002 le projet ‘Okno – fenêtre sur l’art russe’ pour encourager les échanges entre l’art russe et l’art suisse. Commencée à la fin des années 80, sa collection comprend principalement des œuvres russes mais également internationales ; ce dialogue est répété au Kunstmuseum, où des artistes d’origine variée s’invitent – avec plus ou  moins de succès – dans les salles présentant des courants ou des groupes russes. Deux artistes en résidence complètent la kyrielle de noms et une dichotomie entre l’art de Moscou et celui de Saint-Pétersbourg permet de structurer le tout.
Le guide explicatif contient une foule d’informations ; les artistes sont nombreux, les salles également, et il y a beaucoup à digérer – surtout si comme moi, vous êtes moyen au point sur l’art russe. Le cahier a été rédigé avant l’installation et quelques passages peuvent porter à confusion, notamment lorsque les œuvres sont accrochées dans la salle du milieu plutôt que dans la salle où elles sont mentionnées. Il y a même une ou deux œuvres que je n’ai pas trouvées, mais dans l’ensemble, le tout est plutôt clairement présenté. Le guide est téléchargeable sur le site du Kunstmuseum, à vous de juger si cela vaut la peine de le survoler avant la visite afin de pouvoir se concentrer moins sur les explications que sur les œuvres.


Sergei Bugaev ‚Afrika’ (*1966), Rouge (Hommage à El Lissitzky), 1991, Acrylique sur panneau aggloméré, 100 x 150 cm, Collection Arina Kowner, © L’artiste


Les œuvres justement, parlons-en. L’éventail de styles est impressionnant : de la référence à l’avant-garde des années 10 jusqu’au conceptualisme en passant par le néo-académisme et la photographie (my favorites !), il y en a pour tous les goûts. La frustration que j’avais ressentie jusqu’alors devant l’art russe s’est transformée en satisfaction : satisfaction de voir un art différent, qui puise dans des codes spécifiques à son histoire – voir la salle des icônes – et qui utilise les canons de l’histoire de l’art occidentale d’une manière particulière. En effet, les références sont bien présentes, mais passent par des chemins surprenants, moins connus, moins usés. En résulte une impression rafraîchissante d’inattendu qui ne peut que séduire. En somme, le risque de ne pas comprendre est de loin compensé par le plaisir de voir des œuvres inhabituelles ; et rassurez-vous, si vous êtes complètement perdus, Warhol, toujours prêt, fait office de bouée.

Timur Novikov (1958 - 2002), Saint Jean-Baptiste de Kronstadt, 1998, Photographie sur tissu, 145 x 104 cm, © Collection Arina Kowner

Beaucoup d’œuvres m’ont plu et j’aurai aimé vous les montrer, malheureusement elles sont difficilement accessibles sur internet et j’ai eu la bêtise de ne pas acheter le catalogue (qui se décline d’ailleurs en deux formats : le classique, qui doit bien peser dix kilos, et le simple, présentant les œuvres accrochées et les artistes, alternative nettement plus abordable et transportable – concept à retenir ?). Bref, il ne vous reste donc plus qu’à vous rendre à Berne avant le 12 février afin de découvrir le tout et d’y choisir vos favoris.


Bella Matveeva (*1961), Kallipiga (Kallipygos – Vénus avec le beau derrière), 1992, Huile sur toile, 110 x 140 cm, Collection Arina Kowner, © L’artiste



Sergei Borisov (*1947), Flying, 1988, Photographie, 28,8 x 40,5 cm, Collection Arina Kowner, © L’artiste

20.1.12

Biéler: Réalité Rêvée, Martigny, Fondation Gianadda, 1 décembre 2011 – 26 février 2012


La Suisse étant si petite (mais costaude), c’est peu souvent qu’une même exposition occupe successivement plusieurs institutions. Certains musées helvétiques ont cependant tissé des liens solides et leurs collaborations voyagent d’un espace à l’autre, au-delà des frontières linguistiques. C’est le cas de la Fondation Gianadda et du Kunstmuseum de Berne, qui, après avoir travaillé ensemble sur les expositions d’Albert Anker (2004) et de Félix Vallotton (2005) réitèrent leur partenariat autour du peintre suisse Ernest Biéler. En ce moment accrochée à Martigny, ‘Biéler : Réalité Rêvée’ fut d’abord exposée à Berne l’an dernier (8 juillet – 13 novembre 2011). La tournée d’une même exposition permet un jeu intéressant, celui de la comparaison.


Ernest Biéler, L’Enigmatique/ Die Geheimnisvolle, vers 1910, aquarelle sur papier, 26 x 21 cm, collection particulière, © Hinterklappen, Markus Beyeler

Est-il possible de reproduire une même exposition dans différents lieux ? En quoi l’architecture d’un espace modifie-t-elle notre expérience des oeuvres? Est-ce que les deux musées mettent en valeur les mêmes aspects ? En quoi les choix muséologiques d’une institution influencent notre perception de l’artiste et des tableaux? Il est clair que la comparaison pure n’existera jamais ; la seconde exposition sera toujours vue après la première, par conséquent appréhendée avec la connaissance des œuvres présentées, et avec certaines attentes et préconceptions. Quelques points concrets tels que l’accrochage, l’éclairage et les outils d’interprétation permettent cependant de souligner les différentes solutions curatoriales choisies par les musées en question.


Guide d’exposition, Kunstmuseum Bern


L’élément principal qui diffère pour la visite de l’exposition ‘Biéler : Réalité Rêvée’ chez Gianadda est l’absence de petit cahier explicatif. Comme à son habitude, le Kunstmuseum de Berne fournissait un guide sous forme de livret A6 lors de l’achat du billet d’entrée. Dans ce fascicule d’une quinzaine de pages, un plan de l’exposition et la biographie de l’artiste encadrent des textes d’introduction et de présentation des salles. À Martigny, le support explicatif de l’exposition se résume à quelques paragraphes à peine dans le magazine gratuit de la Fondation, où l’artiste est brièvement présenté et son œuvre survolée. Ici également, il s’agit de la stratégie habituelle de l’institution.

En somme, au-delà de leur collaboration de fond, chaque musée a gardé ses méthodes d’exposition respectives, qui, chose intéressante, tendent vers des pôles opposés. Sur une même exposition émerge la question muséologique éternelle : le musée est-il lieu d’expérience ou d’interprétation ? Chez Gianadda c’est l’expérience visuelle qui est favorisée. Peu, voire pas du tout guidé, le visiteur à Martigny aborde l’œuvre de Biéler sur le plan formel. C’est une rencontre presque strictement esthétique où les mots et les explications n’ont pas lieu d’être. Au Kunstmuseum, au contraire, le visiteur était encouragé à comprendre le but de l’exposition, à s’instruire de l’histoire du peintre et du contexte des œuvres. (Il est clair que le visiteur à Berne pouvait ne pas lire le petit guide et que le visiteur à Martigny peut acheter le catalogue de l’exposition ou suivre une visite guidée pour plus d’informations – misons cependant sur l’hypothèse que, dans la plupart des cas, le visiteur se laisse porter par ce que le musée lui offre initialement).
Quelle est la meilleure stratégie ? Proposer un guide qui puisse assister le visiteur au risque de le distraire des œuvres et peut-être biaiser son expérience ? Ou pousser le visiteur à se concentrer sur les œuvres au risque de le priver d’informations intéressantes qui pourraient enrichir sa visite ?  Question éternelle donc, dont la réponse varie selon les expositions, selon les préférences personnelles des visiteurs et selon l’architecture du lieu.


Photo d’installation, salle 1, Kunstmuseum Bern

Photo d’installation, Fondation Gianadda Martigny

L’architecture d’un espace d’exposition joue en effet un rôle – consciemment ou non – dans la définition d’une stratégie curatoriale. Les nombreuses salles du musée de Berne se prêtent à une présentation thématique. Leur taille moyenne permet d’accrocher les œuvres en les regroupant par concept. Dans le cas de Biéler, chaque pièce présentait une mini-exposition autour de questions stylistiques. On passait de son style ‘manet-sque’ à sa période symboliste puis à son style graphique et décoratif en passant par ses peintures réalistes. Cette organisation par salles a également permis de varier la couleur des murs : le lilas mettait particulièrement en valeur ses œuvres parisiennes alors que le gris révélait l’éclat de ses tableaux saviésans. Chez Gianadda, la construction de l’espace est tout autre. Le péristyle permet d’embrasser une grande partie de l’exposition d’un seul regard, de prendre du recul et d’observer les œuvres à distance, révélant des aspects esthétiques moins faciles à observer dans une pièce. Cette architecture limite cependant les possibilités de découpage par thème et les variations de couleurs de murs ; elle tend plus à offrir une vision d’ensemble plutôt qu’une étude précise. Il y aurait bien sûr des moyens de mettre en place une stratégie interprétative (avec des panneaux muraux par exemple); il faut cependant convenir que la stratégie d'expérience correspond relativement bien à l'espace d'exposition. 


Ernest Biéler, Die Quellen / Les Sources, 1900, Huile sur toile, 172 x 486 cm, Kunstmuseum Bern, © Schönbühl, Prolith AG 

Parmi les highlights de l’exposition se trouvent les deux grands formats symbolistes appartenant au musée de Berne et restaurés pour l’occasion – Les Feuilles Mortes et Les Sources. Cette dernière est très sombre et possède une surface brillante et craquelée, comme le montre l’image ci-dessus. Les Feuilles Mortes est moins marquée, et ,avec ses tons orangés et lumineux, ne nécessite pas beaucoup d’éclairage pour être mis en valeur.


Ernest Biéler, Die toten Blätter / Les Feuilles mortes, 1899, Huile sur toile, 149.7 x 481.5 cm, Kunstmuseum Bern, © Schönbühl, Prolith AG

À nouveau, deux solutions d’accrochage et d’éclairage ont été choisies selon les institutions ; à vous de juger de la meilleure (ou de la moins pire, le problème étant particulièrement délicat). À Berne les deux œuvres étaient accrochées dans la même salle, sur des murs adjacents. Le Kunstmuseum a choisi un éclairage très faible pour Les Sources afin de limiter la réflexion de la lumière sur la surface brillante. Cette technique restreint les zones d’aveuglement, mais empêche de distinguer certaines parties du tableau, beaucoup trop foncées. Cette obscurité était d’autant plus violente que Les Feuilles Mortes étaient accrochées juste à côté.
À Martigny, les deux tableaux se font face à travers l’espace central de la Fondation, de part et d’autre des ruines du temple gallo-romain. Les Sources sont éclairées à l’aide de plusieurs spots relativement forts dirigés sur la partie haute du canevas. On distingue donc plus facilement les parties sombres à condition de se déplacer constamment devant la toile : de nombreux endroits réfléchissent intensément la lumière, devenant donc invisibles. Comme dit précédemment, l’avantage de la Fondation Gianadda est que le visiteur peut prendre beaucoup de recul pour observer les œuvres ; avec la distance, l’effet de réflexion s’estompe. Il est cependant frustrant de ne pouvoir les regarder de plus près.


Ernest Biéler, Sortie du Raccard, 1921, aquarelle et gouache sur papier, 53 x 37 cm, collection particulière,  © Hinterkappelen, Markus Beyeler

Le  but de l’exposition ‘Biéler : Réalité Rêvée’ est de proposer ‘un panorama représentatif’ de l’œuvre de l’artiste suisse ; en clair, de montrer que sa production ne se limite pas à ses peintures saviésannes. Force est de constater que la majorité des œuvres présentées sont des tableaux valaisans. Et quand on voit que la Fondation Gianadda a choisi les Trois Jeunes Filles de Savièse (1920) pour affiche, on réalise que cette grande exposition rétrospective sur Biéler demeure relativement frileuse. De nombreuses questions restent en suspens : comment expliquer le succès de ses tableaux saviésans? Qui les lui achetaient ? Quel était son rapport avec le marché ? A-t-il créé ou répondu à une demande ? Présente-il Savièse comme Gauguin présentait la Polynésie ? Comment était-il perçu, en tant qu’artiste, à Savièse ? Qui posait pour lui ? Pourquoi tout le monde tire la gueule sur ses portraits ? Pourquoi ses cadrages sont si rapprochés, travaillait-il à partir de photographies ? Pourquoi l’abandon de l’huile pour la tempéra et l’aquarelle ? Certaines de ces questions sont brièvement adressées dans le catalogue, mais la plupart ne sont pas traitées. La recherche au sujet de Biéler et de son travail est en réalité très mince ; habituée à régulièrement voir ses œuvres dans les musées et les maisons de ventes aux enchères suisses, j’imaginais qu’il avait été étudié et ré-étudié, comme un Hodler ou un Vallotton. Quelle n’a été ma surprise en apprenant que son catalogue raisonné était en cours de rédaction cette année... De nombreuses zones d’ombre restent donc encore à élucider ; Ernest Biéler n’a de loin pas révélé tous ses secrets.


Ernest Biéler, Portrait des demoiselles Suzanne et Magali Pavly, 1892, Huile sur toile, 151 x 110 cm, Fondation pour l’art, la culture et l’histoire, Winterthour, © Hinterkappelen, Markus Beyeler


Ernest Biéler, Saviésannes le dimanche, 1904, huile sur toile, 117 x 157 cm, Stiftung für Kunst, Kultur und Geschichte, Winterthur © www.ernest-bieler.ch

11.1.12

L’Ombre – Der Schatten, Bienne, Musée Neuhaus, 27 octobre 2011 – 26 février 2012

‘She returned to the nursery, and found Nana with something in her mouth, which proved to be the boy's shadow. As he leapt at the window Nana had closed it quickly, too late to catch him, but his shadow had not had time to get out; slam went the window and snapped it off.’ J.M. Barrie, Peter Pan, 1911.


Peter Pan et son ombre, arrêt sur image du dessin animé de Walt Disney, 1953, © Walt Disney Productions

Les ombres nous accompagnent en permanence. Elles peuvent être rassurantes, mystérieuses, angoissantes, bienvenues ou insignifiantes: elles demeurent présentes à tout instant, sauf au zénith ou dans le noir total. Elles meublent et sculptent notre environnement, dessinant discrètement les contours des objets et des personnes, sans discrimination aucune. Si discrètement que, la plupart du temps, l’on en vient presque à les oublier ; ce phénomène banal n’en est pourtant pas moins fascinant. Le musée Neuhaus à Bienne a choisi de mettre en lumière (haha) les différentes facettes de l’ombre, réunissant son statut symbolique, ses propriétés physiques et son potentiel plastique. 

La thématique de l’ombre est déclinée en plusieurs sections. De l’explication technique du vocabulaire au théâtre d’ombres en passant par son utilisation dans le cinéma, la peinture, le dessin et la gravure, l’ombre est révélée sous toutes ses coutures ou presque. Ne manque peut-être qu’une partie dédiée à la photographie, à peine abordée lors de la présentation du dessin de silhouette. Le côté scientifique n’est pas en reste avec des accrochages consacrés à l’éclipse, au cadran solaire et aux phases de la lune. Le dernier sous-thème concernant la portée allégorique de l’ombre – la caverne de Platon, tout ça – reste malheureusement peu développé.


Philippe Robert, Le Caire, El Azhar, Université Musulmane, 1924, huile sur toile, 72 x 97 cm, © http://www.artnet.de/

Bien qu’un peu pauvre en poésie, l’exposition a le mérite de mettre en valeur les aspects techniques d’une production artistique. Le visiteur est conduit à remarquer et analyser les éléments d’ombre d’une composition. Plusieurs extraits de films permettent de comprendre l’utilisation scénique et parfois scénaristique de l’ombre, alors que des agrandissements de gravures soulignent les différents procédés employés par les artistes pour moduler la lumière et son absence. La Liseuse d’Ernst Geiger (1910-20) ainsi qu’une vue du Caire de Philippe Robert (1924) sont accrochées à côté de reproductions respectives de grand format, dépouillées de toute modulation de lumière. On prend ainsi conscience de l’importance de l’ombre dans le jeu de perspective, d’ambiance et de composition. Les dessins de Léo-Paul et Philippe Robert offrent également d’agréables supports pour étudier comment des zones plus ou moins sombres façonnent la consistance de la chair et de la peau.

L’espace d’exposition est par contre peu commode. La belle maison du début du 19ème a été rénovée dans les années 90 dans un style assez indescriptible, mélangeant certains aspects d’origine avec une architecture fin 20ème qui vieillit plutôt mal. Des piliers en métal sont plantés au milieu des espaces (et pas du genre usine-désaffectée-trop-classe), les expositions permanentes et temporaires se chevauchent, les accrochages sont très denses. Il y a peu d’endroits où l’œil peut se reposer, tout n’est qu’objets, labels, textes, flèches, œuvres, livres, machines: s’orienter est relativement compliqué. Il s’avère que le point faible du musée Neuhaus est sa scénographie et son graphisme en général – sauf peut-être dans la partie du bâtiment consacrée à la cinécollection de William Piasio. Le site web et les affiches auraient bien besoin d’être dépoussiérés. La scénographie également : la reproduction de la caverne de Platon est tout sauf de bon goût et ressemble à un bricolage d’école primaire. Dans la partie consacrée aux ombrelles, les illustrations sont accrochées en vague sans aucune raison valable. L’utilisation d’un violet flashy pour la signalétique de l’exposition fait quant à elle penser à une carrosserie tuning.


Musée Schwab, Bienne, © http://www.bienne-seeland.ch


La fusion du musée Neuhaus et du musée Schwab sous la dénomination ‘Nouveau Musée de Bienne (NMB)’ présage cependant des changements attrayants et engageants. Les collections des deux musées sont réunies officiellement depuis le début de cette année et le musée Schwab sera inauguré en automne 2012 en tant qu’espace d’expositions temporaires du NMB. Celles-ci pourront ainsi prendre une nouvelle envergure et occuper des locaux plus appropriés. Espérons que cette nouvelle configuration inspirera également un rafraîchissement de l’identité visuelle.

‘L’Ombre – Der Schatten’ baisse le rideau sur le musée Neuhaus en permettant de réunir efficacement les différents aspects de sa collection. L’exposition est hautement interactive et en amusera plus d’un : divers ‘stations’ proposent des activités ludiques. Allez-y à plusieurs et/ou avec des enfants ! Vous en sortirez sans aucun doute avec une nouvelle clé de lecture : la conscience de l’ombre, de sa présence et de son absence, dans une œuvre d’art.