20.12.11

Incongru : Quand l'art fait rire, Lausanne, Musée Cantonal des Beaux-Arts, 8 Octobre 2011 - 15 Janvier 2012

Il est vrai que c'est assez rare de se prendre des barres de rire dans un musée. L'occasionnel haha provoqué par une œuvre par ci par là reste d'ailleurs, en général, un bref amusement plutôt qu'une franche rigolade. Bien qu'il existe des expos marrantes – notamment celles présentant des œuvres interactives qui requièrent la participation physique du visiteur (voir http://www.youtube.com/watch?v=9-SNo04Wmjw&feature=relmfu) ainsi que, j'imagine, des performances hilarantes (quelqu'un a un exemple?) –, je crois qu'on peut se mettre d'accord pour dire qu'il est assez inhabituel de voir des visiteurs se rouler par terre de rire sous l'œil réprobateur – ou amusé – d'un surveillant de salle.
Le musée cantonal des Beaux-Arts de Lausanne propose donc une exposition pour le moins intrigante avec "Incongru: Quand l'art fait rire", bien décidé à casser l’image austère que se traînent les musées depuis des dizaines d’années.

Yue Min Jun, 2000 A.D., 2000 Polyester peint, 186 x 60 x 46 cm chaque (25 pièces) Photo : Nora Rupp, © Musée Cantonal des Beaux-Arts, Lausanne

Le texte d'introduction est généralement un très bon révélateur de la qualité de conception d'une exposition; court et concis, il résume l'essence de l'expo et présente son but sans toutefois la dévoiler complètement. Après lecture et relecture (voir re-relecture pour certains passages) du dépliant couleur d'"Incongru", impossible d'avoir une idée claire du but de l'exposition ou même de son squelette. Les trois paragraphes sont en fait le début de l'introduction au catalogue, à quelques raccourcis près qui rendent certaines informations absolument incompréhensibles (voir la fin de l’extrait). Alors oui, le texte d'intro au catalogue d'une expo contient habituellement l'essence et le but de l'expo; retrouver exactement les mêmes phrases n'est pas problématique en soi. Ce qui pose problème c'est que ces phrases ou paragraphes ont été repris tels quels sans que leur(s) auteurE(s) aient pris la peine d’évaluer leur pertinence avec un œil extérieur. Privés de leur suite, ces paragraphes fonctionnent très mal et portent à confusion. Les informations sont éparpillées et forment un gros bouillon d’idées plutôt qu’une ligne directrice claire. Le plus dommage est que l’intro au catalogue contient des passages très éclairants qui auraient fonctionné à merveille comme texte d’introduction à l’expo; encore aurait-il fallu accorder un peu plus de soin à l’élaboration de ce dernier.

texte d'intro à l'expo

Le doute quant à la substance de l'expo ne s'envolera pas malgré ma bonne volonté. Les premières salles sont les plus faciles à saisir bien que l'accrochage soit un peu troublant. La salle 1 est dédiée au texte, cependant c'est dans la salle 2 que l'on retrouve les grands formats à messages de Christian Robert-Tissot. La salle 3 se focalise notamment sur les pastiches de l'histoire de l'art mais le pastiche de Donald Judd par Sylvie Fleury se trouve dans la salle 4. La salle 2 est consacrée aux portraits de personnes souriantes ou riantes mais c'est dans la salle 9 que sont présentés les études de visage déformé par le rire. Si vous désirez  dégager la moelle de l’expo, il va vous falloir faire un peu d’acrobatie et ne pas vous imaginer qu’une progression s’opère de salle en salle. Celles-ci sont par ailleurs beaucoup trop nombreuses. D’où vient cette conviction qu’une bonne exposition se doit d’être interminable? L’abondance d’œuvres et d’espace ne fait que contribuer au sentiment d’éparpillement et de dispersion des sous-thèmes. Les quatre dernières salles furent l’apothéose de ma confusion et me certifièrent que décidément, je n’avais toujours pas vraiment saisi le sens de l’exposition.

Sylvie Fleury, The Eternal Wow on Shelves, 2008, Acier poli, fibre de verre, peinture de carrosserie, 275 x 88 x 73 cm, © Galerie Almine Rech, Bruxelles

Les commissaires désirant inviter le visiteur à se concentrer sur l’œuvre avant tout, les labels des œuvres ne sont pas présents à côté de celles-ci. Les œuvres sont numérotées et des fiches A4 fournissant les labels sont disponibles à chaque entrée de salle (petit défaut de conception qui a tout de même son importance: il n'y a pas de présentoir pour déposer les fiches à la sortie des salles, ce qui oblige le visiteur à retraverser toute la pièce pour reposer la feuille - un peu agaçant) (ou alors il faut poser la feuille de la salle précédente dans le présentoir de la salle suivante, ce qui, pour les maniaques, pose un problème relativement insurmontable). 
Cette méthode de curation se défend et fonctionne extrêmement bien dans certains cas, malheureusement pas dans celui-ci. Premièrement, la clé humoristique de certaines oeuvres se trouve dans leur titre. Les trois pendules d’Alessandro Omar révèlent leur poésie comique dans leur dénomination : Untitled (ménage à trois). Le titre ouvre une nouvelle lecture de ces deux pendules synchronisées et de la troisième décalée. Sans oublier la référence à Félix Gonzalez-Torres pour ceux et celles familiers de son travail. Sans ces renseignements, le visiteur ne passe-t-il/elle pas à côté de l’œuvre d’Omar ? Limiter l’accès à ces informations indispensables paraît donc contreproductif. Si le visiteur doit de toute manière se munir d’une fiche, où est l’intérêt de supprimer les labels des murs ?

Alessandro Omar, Untitled (Ménage à trois), 2010, Horloges, ø 35 cm chaque (3 pièces), © Alessandro Omar website

Deuxièmement, le petit guide A5 de l'exposition que le MBC-A fournit gratuitement à ses visiteurs pour faciliter leur visite donne des explications sur les œuvres et les artistes sans pour autant référer à la numérotation. Cela signifie que si je me trouve face à une œuvre dont je ne connais rien mais qui m'intéresse et sur laquelle j'aimerais apprendre plus, je suis obligée de relever le numéro, d'aller chercher la fiche, de retenir le nom de l'artiste, puis de lire les informations correspondantes dans mon guide. À nouveau, je dois impérativement me munir d’une fiche pour accéder aux informations. Seule alternative possible, je parcours le guide et tente de comprendre par élimination de quel artiste il s'agit. Pas super pratique, surtout dans une salle comme la Grande Galerie du Rire, très grande et très dense. Dernier point: les labels réapparaissent sur les murs à partir de la salle 7, ce qui renforce la confusion des dernières salles (c’est une autre expo ou comment ça se passe ?). Si l’on prend parti pour une méthode de labellisation, on s’y tient jusqu’au bout, sinon quel intérêt ?
Il semblerait donc que du point de vue de l’interprétation, de l’accrochage et de la labellisation, les commissaires aient confondu incongruité et manque de clarté, d’accessibilité et de consistance. Cela ne signifie pas pour autant que l’exposition n’est pas plaisante. Certaines œuvres sont drôles et certaines juxtapositions sont très réussies (bien que tout dépende de l’humour de chacun). Dans la première salle, le mural et la vidéo de John Baldessari (I Will not Make Any More Boring Art, 1971 – 2011, et I Am Making Art, 1971) donnent le ton et tournent en dérision son propre travail et l’art contemporain en général. La vidéo de Yoshua Okon intitulée Canned Laughter (2009) met en scène des ouvriers hispaniques complètement mornes travaillant dans une usine de mise en boîte de rires – ne manquez pas les scènes où ils font la démonstration des différentes variétés de leur production. Dans la Grande Galerie du Rire, on savoure le culot des commissaires qui ont osé ironiser sur le musée suisse en juxtaposant deux portraits d’une ressemblance saisissante : le premier de Mme Mary Widmer-Curtat, mécène du MCB-A, et le second de la cinéaste nazie Leni Riefenstahl. Quand le musée fait rire…. On peut être gardien de l’histoire ET être marrant. So fresh. Au final, une exposition au fond peu solide mais qui se laisse apprécier en surface. Légèreté et amusement sont les mots d’ordre ; mais ne creusez pas trop au risque de faire la soupe à la grimace !

Edouard Vuillard, Portrait de Mme Mary Widmer-Curtat, 1926, Huile sur toile, 100 x 81 cm, © Musée Cantonal des Beaux-Arts 

Gottfried Helnwein, Leni Riefenstahl, vers 1984, photographie, 52 x 34.5 cm, Musée de l’Elysée, Lausanne © Gottfried Helnwein

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